Benoit Huot, avec son œuvre singulière, étrange et inclassable, défie les tendances et les catégories modernes de l’art. La Fondation du doute présente une exposition d’ampleur, réunissant un ensemble de ses « personnages ».
Diplômé de l’École des Beaux-arts de Besançon (1989), Benoit Huot (Montbéliard (1966) – vit et travaille à Gray) suspend, à la fin des années 1990, sa pratique picturale pour se consacrer à la restauration d’une ancienne ferme en maison-atelier, dans le petit village de Montivernage dans le Doubs. C’est au cours de ce chantier qu’il exhume des murs des corps d’animaux momifiés par le temps. L’expérience aura une influence décisive sur son oeuvre : au milieu des années 2000, l’artiste se remet à l’ouvrage mais s’éloigne de la toile et des pinceaux pour désormais se consacrer à la sculpture. Il récupère çà et là des animaux naturalisés pour créer des « personnages », entrelacs composites de corps et d’objets divers – dont parfois des masques et des statuaires venus d’ailleurs – qu’ensuite il habille et recouvre de tissus, parures et autres passementeries, comme pour mieux les « préparer au voyage » voire les réactiver.
Chacun est ensuite baptisé, souvent en empruntant le nom d’une divinité ou d’un être mythologique non occidental (Gonggong, Patèque, Egipan…) librement pioché dans un dictionnaire – plus par obligation pratique que par réel lien symbolique.
Le chemin qui mène de la vie à la mort, et inversement, est une des clés essentielles du travail de Benoit Huot. Sans que cela ne soit jamais souligné voire mentionné dans la biographie, cette fascination n’est pas étrangère à une expérience limite vécue sous psychotrope par l’artiste au milieu des années 1990, qui le conduira non seulement à se mettre « au vert » à la campagne, mais aussi au tournant radical que prendra son oeuvre quelques années plus tard. Il est d’ailleurs peut-être révélateur que celle-ci semble habitée de la même ferveur inquiétante que les « chasses fantastiques » revenues de l’au-delà, sombres et flamboyantes à la fois.
Mais plus profondément encore, c’est bien la notion même de passage, toujours transgressif parce que transformateur, qui agite l’oeuvre de Benoit Huot. L’inversion qui consiste à faire entrer l’animal dans le champ de la culture et du spirituel en même temps qu’il passe de la mort à la vie ; l’hybridation de reliques de corps artificiels (mannequins, poupées, statues, masques) et organiques (ossements, taxidermies…) ; les références plurielles aux figures de l’intercession ; ou encore le mode opératoire qui l’inscrit dans le sillage des pratiques cognitives, artistiques et in fine philosophiques du bricolage tel que conceptualisé par Claude Levi-Strauss et ses héritiers… Toutes ces formes de transfert contribuent à faire naître du tréfonds des oeuvres une présence active, dérangeante parfois, et à estomper les frontières entre le Même et l’Autre. Le visiteur n’est dès lors plus qu’un être singulier parmi d’autres êtres singuliers, sans plus trop savoir qui regarde, qui est regardé.